A retenir

  • Les glaciers sont les indicateurs les plus visibles du changement climatique.
  • La Mer de Glace pourrait disparaître à l’horizon 2100 sous la pression principalement des températures estivales élevées.
  • La disparition des glaciers est un changement majeur pour la ressource touristique et en eau du massif, mais peut-être la promesse de nouvelles zones propices pour une faune alpine menacée.
Bilans de masse de surface cumulés des glaciers d’Argentière et de la Mer de Glace entre 1905 et 2018

Bilans de masse de surface cumulés (en mètres d’eau) des glaciers d’Argentière (en bleu) et de la Mer de Glace (en rouge) entre 1905 et 2018. (Vincent et al. 2019)

Problématique : le massif glaciaire du Mont-Blanc

Le massif du Mont-Blanc est unique car depuis 4810m d’altitude et jusqu’à 1427m, des glaciers s’écoulent sur ses pentes sur un dénivelé de 3383m. La topographie, les températures et les précipitations neigeuses dictent l’épaisseur et la vitesse d’écoulement, donc la vie d’un glacier.

Des glaciers à si basse altitude, hors zones polaires, voici une spécificité du massif du Mont-Blanc. Ils occupent 159 km2 et sont répartis pour 63% sur le versant français du massif, pour 23% sur le versant italien et pour 14% sur le versant suisse. Cette « cryosphère » est ainsi un élément incontournable du massif.

Ce sont les précipitations neigeuses qui par compactage naturel forment progressivement la glace de glacier. Depuis les bassins d’accumulation en haute altitude, la glace s’écoule ensuite à une vitesse annuelle variable, suivant la topographie et la saison. Par principe gravitaire, un glacier « avance », comme un cours d’eau mais de manière plus imperceptible. La Mer de Glace avance ainsi en moyenne de 30m par an au niveau du Montenvers.

Outre sa vitesse d’écoulement, la vie d’un glacier est déterminée par son épaisseur et son bilan de masse annuel. Les températures et les précipitations influencent la fonte ou « ablation » estivale du glacier et l’accumulation de neige aux saisons froides. La différence entre gains et pertes de glace s’exprime en « mètres équivalent eau ». Si les pertes excèdent les gains, le glacier perd de l’épaisseur voire de la surface quand l’épaisseur devient nulle. Autre donnée intéressante, l’altitude d’équilibre à laquelle le glacier ne perd ni ne gagne en épaisseur sur une période donnée.

Pertinence : des marqueurs du changement climatique

Le recul des fronts glaciaires et la diminution des épaisseurs de glace sont des témoins criants du changement climatique. Dans les Alpes françaises, les glaciers ont perdu environ 25% de leur surface depuis la fin des années 1960. Cette perte a été plus marquée dans les Alpes du sud (32% dans les Ecrins et « seulement » 10% dans le massif du Mont-Blanc).

Le front des glaciers (leur partie basse) reculent rapidement. Depuis le XVIIIe siècle, le front de la Mer de Glace s’est ainsi retiré de plus de 2,5 km vers l’amont, avec une accélération marquée depuis 2002. Il a ainsi reculé de 400m sur ces seules 20 dernières années.

Ce recul des fronts glaciaires est corroboré par une baisse de la superficie et l’épaisseur des glaciers. Depuis le début du XXe siècle le glacier d’Argentière et la Mer de Glace ont perdu respectivement 38 et 50 m d’épaisseur moyenne de glace, soit 25 et 32 % de leurs épaisseurs moyennes.

Ce sont les températures estivales en hausse, de plus en plus caniculaires, qui expliquent cette fonte, davantage que les précipitations hivernales qui sont plus ou moins constantes. Au-dessus d’une ligne d’équilibre en constante hausse, la fonte des glaces est moins marquée voire nulle au sommet du Mont Blanc et du dôme du Gouter où elle n’a diminué que de 3 m entre 1905 et 2005. A ces altitudes, la température moyenne annuelle reste en effet négative (– 11°C au dôme et – 17 °C au Mont Blanc). La neige continue donc à s’accumuler pour créer de la glace, en fonction des précipitations et des conditions de vent.

Variations d’altitude de la surface des sections transversales des langues glaciaires d’Argentière et de la Mer de Glace depuis la fin du XIXe siècle

Variations d’altitude (en mètre) de la surface des sections transversales des langues glaciaires d’Argentière et de la Mer de Glace depuis la fin du XIXe siècle (Vincent et al. 2019).

Carte du glacier d'Argentière et de la Mer de Glace

Évolution future des glaciers

Les glaciologues anticipent la disparition de 90% des glaciers suisses et de 50% des glaciers du versant français du Massif du Mont-Blanc d’ici 2090 dans un scénario climatique plus optimiste que les tendances actuelles d’émissions de gaz à effet de serre. Le glacier de la Mer de Glace pourrait disparaître à l’horizon 2100 et celui d’Argentière dès 2080.

La ligne d’équilibre - où la glace ne fond ni ne se forme sur une période donnée- pourrait remonter de 2900m actuellement à 3500m d’ici la fin du siècle. Les températures de nouveau sont mises en accusation pour expliquer ce retrait glaciaire. Le nombre de jours de gel - c’est-à dire où la température maximale reste inférieure à 0°C - devrait diminuer à l’échelle du massif de plus de 25% d’ici la fin du siécle, et même de plus de 50 % dans le cas d’un scénario pessimiste. Au-dessus de 2400m d’altitude, c’est plus d’un mois de gel qui disparaîtra d’ici 2050. La hausse des précipitations hivernales, si elle se confirme, ne suffira pas à compenser ces températures à la hausse.

La Mer de Glace et le glacier d’Argentière sont deux exemples emblématiques de la disparition future des glaciers du massif du Mont-Blanc. La modélisation future des glaciers est délicate car elle nécessite de connaître, outre l’évolution climatique et les variables météorologiques locales, la répartition actuelle des épaisseurs de glace et le lit rocheux du glacier.

Pour la Mer de Glace, le glacier devrait se scinder en deux dans les prochaines décennies au niveau de la rupture de pente des séracs du Géant. En aval, le glacier ne sera donc plus alimenté et la glace stagnante. Dans un scénario optimiste le front de la Mer de Glace aura reculé de 7,2km en 2100 par rapport à 2018. Au pied de l’Aiguille du Midi, il resterait encore près de 150m d’épaisseur de glace. Dans un scénario pessimiste (mais actuellement le plus réaliste) le glacier de la Mer de Glace aura disparu à cette date. La topographie du lit rocheux en amont de la chute de séracs du Géant est cependant mal connue et elle reste une incertitude dans les modèles.

Concernant le glacier d’Argentière, un lac dit « proglaciaire » en aval du front du glacier devrait apparaître au-dessus de la rupture de pente de Lognan à partir des années 2040 environ. Le glacier pourrait totalement disparaître avant 2080, la partie la plus épaisse située aujourd’hui entre 2 800 et 2 900 m d’altitude demeurant en dernier. A l’échelle du bassin versant de l’Arve (versant français du massif du Mont-Blanc), il ne devrait rester, à la fin du siècle, qu’une quarantaine de km2 englacés, dans le cas d’un scénario optimiste, ou même moins de 15 km2 autour du sommet du Mont Blanc dans le cas d’un scénario pessimiste.

Perspectives pour le vivant

Pour les Hommes, le glacier est un élément important du territoire, positif en terme de tourisme ou d’approvisionnement en eau, plus menaçant parfois. Pour la faune, le retrait glaciaire offre de nouveaux espaces à coloniser, peut-être une future zone-refuge face à la pression climatique et humaine.

Les glaciers ont d’abord historiquement représenté une menace notamment lors des poussées glaciaires du XVIIe qui emportaient villages et terres cultivées, ou encore lors de l’explosion de la poche d’eau du Tête Rousse en 1892. La chute de séracs du glacier de Taconnaz représente encore aujourd’hui un risque majeur d’avalanches, alors que le futur lac d’Argentière présentera un risque de crue important dans la vallée de Chamonix en cas de débordement.

Mais les glaciers ont aussi fasciné les premiers voyageurs et scientifiques dès le XVIIIe siècle, au moment où ils étaient les plus étendus depuis que Sapiens occupe les Alpes. Aujourd’hui, ces glaciers sont un patrimoine naturel, témoin de l’impact du réchauffement sur la planète. Ils constituent en outre de véritables réservoirs d’eau, que le secteur hydroélectrique notamment sait exploiter.

Pour la flore, le rapide retrait glaciaire se traduit en moins de 10 ans par une colonisation par des plantes pionnières puis progressivement par d’autres milieux comme la forêt. La faune typiquement alpine - le lagopède par exemple - pourrait trouver refuge dans ces milieux nouvellement accessibles, poussée vers le haut par la remontée des températures et vers de nouveaux espaces par les activités humaines. A condition toutefois que l’installation de la végétation indispensable à la vie animale soit suffisamment rapide et que ces espaces restent protégés.

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