A retenir

  • Les grenouilles rousses bénéficient d’un déneigement précoce qui leur permet de pondre plus tôt. Les têtards ont un temps plus long pour achever leur cycle de développement, surtout en altitude.
  • A l’inverse, les sécheresses estivales qui assèchent parfois les mares d’altitude affectent la survie des têtards.
  • Les effets du changement climatique sont donc ambigus pour la grenouille rousse, véritable espèce indicatrice des changements globaux en cours.
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Problématique

Le cycle de développement de la grenouille rousse (Rana temporaria) est adapté aux conditions particulières de la montagne. Il est étroitement lié à la date de déneigement des mares donc plus tardif en altitude, mais aussi beaucoup plus rapide qu’à basse altitude, ce qui permet à la grenouille rousse d’être présente jusqu’à 2800m d’altitude !

La grenouille rousse est l’un des trois seuls amphibiens adaptés à l’altitude dans le massif du Mont-Blanc, aux côtés du triton alpestre (Mesotriton alpestris) et la salamandre tachetée (Salamandra salamandra). Comme toutes les espèces que l’on retrouve à différentes altitudes, les sous-populations de montagne ont des adaptations spécifiques pour faire face à une très courte période favorable à la croissance, à la reproduction et à l’accumulation de réserves pour la saison froide suivante.

Dans le cas des grenouilles rousses, la neige est déterminante pour décider du début de la reproduction : la ponte se fait dans les mares, une fois que celles-ci sont déneigées. L’espèce est donc très dépendante de la date de fonte de la neige. Plus on monte en altitude, plus la date de fonte (donc la date de ponte) est tardive. On observe ainsi dans le Mont-Blanc que la première ponte se fait en moyenne 20 jours plus tard à 1900m qu’à 1300m.

Du fait de ce retard au démarrage, la durée de la période de ponte (entre le premier oeuf et le dernier oeuf pondu) est beaucoup plus courte en altitude, les grenouilles y sont plus « synchronisées » au sein de chaque mare. Et le développement des têtards - depuis l’oeuf jusqu’au stade de « grenouillette », qui peut survivre à l’hiver suivant -, est beaucoup plus rapide en altitude. Les têtards à 1900m mettent ainsi 26 jours de moins en moyenne que leurs cousins à 1300m pour être « viables » pour l’hiver suivant, même si la taille et le poids des grenouillettes sont plus petits à haute altitude, comme chez beaucoup d’espèces.

Pertinence : un changement climatique à double tranchant

Outre la date de déneigement, plusieurs paramètres climatiques en évolution affectent la phénologie - le cycle saisonnier -, de la grenouille rousse. Les températures, la quantité de neige, le gel printanier et les sécheresses estivales, dictent ainsi, parfois de manière contradictoire, la capacité des têtards à mener à terme leur développement.

Un déneigement de plus en plus précoce, lié à une faible couverture neigeuse ou à des températures printanières élevées, est une aubaine pour les grenouilles qui pondent dès les mares déneigées. Elles offrent ainsi à leur progéniture un temps plus long pour se développer, même en altitude. A condition que les oeufs échappent au gel printanier : même si la neige disparaît de plus en plus tôt, le risque de températures négatives persiste même lorsque les grenouilles ont pondu.

En revanche, les grenouilles pondent dans des mares souvent peu profondes (50 cm en moyenne pour les mares étudiées dans le Mont-Blanc). Or les jeunes sont strictement dépendants de l’eau jusqu’à un stade avancé de leur métamorphose. La survie des têtards est donc menacée si l’eau vient à manquer dans les mares, du fait d’un stock insuffisant de neige dans le bassin versant alimentant leur mare, ou du fait d’une sécheresse estivale.

La saison allongée sous l’effet de la hausse des températures pourrait être bénéfique pour cette espèce puisqu’elle lui offre plus de temps de développement et donc potentiellement une meilleure survie. Mais les sécheresses estivales, de plus en plus fréquentes, aboutissent à un assèchement trop précoce des mares : les têtards ne peuvent achever leur développement. Entre bénéfice d’une phénologie précoce au printemps et menace d’un assèchement des mares l’été, la survie des têtards est incertaine.

Évolution : les observations faites au Mont-Blanc

Dans les mares suivies au Mont-Blanc entre 2009 et 2019, les grenouilles avancent leur ponte de manière très marquée, surtout en altitude, lors des années peu enneigées. En revanche, l’effet cumulé d’un faible enneigement et d’un été chaud et sec, comme en 2017, mène à une plus faible survie chez les têtards. Ces années extrêmes sont de bons indicateurs de l’évolution future.

Dans le Mont-Blanc, les observations menées à Vallorcine (1300m) et Loriaz (1900m) depuis 2009 montrent des pontes de plus en plus précoces à basse altitude (1,4 jours d’avancée chaque année) mais plus tardives à haute altitude (1,7 jours de recul chaque année). Pourtant, sur cette période de 11 ans - peu significative à l’échelle des évolutions climatiques -, ce sont les années extrêmes qui sont intéressantes, plus qu’une tendance moyenne. Ainsi, la première ponte à 1900m a été observée le 5 mai en 2011 (année très peu enneigée) mais le 29 juin en 2016 (année tardive). Si une année comme 2011, aujourd’hui extrême, devient habituelle, cette étude démontre la grande « plasticité » des grenouilles, c’est-à-dire leur capacité à adapter leur phénologie aux conditions du moment, à pondre plus tôt lorsque la neige fond vite, et ce particulièrement en altitude.

Comme pour les arbres, cette avancée printanière n’est cependant pas sans limite ; la probabilité de gel tardif augmente en même temps que la date de déneigement avance. Ceci est observé particulièrement sur les sites à 1300m d’altitude. De plus, en altitude, le risque d’assèchement est d’ores et déjà avéré : en 2017, les températures estivales élevées et un déneigement précoce ont généré une mortalité chez les têtards. En 2018 en revanche, malgré des températures estivales caniculaires, un bon enneigement printanier avait permis le maintien d’une humidité nécessaire dans les mares, soulignant le rôle déterminant de la neige en tant que réserve d’eau sur une partie de la saison estivale.

Perspectives : une espèce à protéger ?

La grenouille rousse n’est pas jugée menacée à l’échelle de la France, mais elle est pourtant potentiellement vulnérable en montagne à cause de l’impact du changement climatique sur les zones humides. Espèce indicatrice des changements globaux, la grenouille rousse pourrait devenir une espèce à protéger.

Comme sa physiologie et sa phénologie sont très directement liées au climat (température et enneigement), la grenouille rousse peut être considérée comme une espèce indicatrice des changements climatiques en cours. De plus, sa présence à des altitudes très variées en fait un très bon indicateur pour un suivi global des milieux de montagne.

Il manque encore cependant des éléments pour mieux comprendre la dynamique globale des populations de grenouilles rousses et mesurer sa vulnérabilité : au-delà de la phénologie et du cycle de développement des têtards, les grenouilles bénéficient-elles par exemple d’une meilleure santé lors de leur dormance hivernale si les hivers sont moins froids ?

Une chose est certaine, les projections d’assèchement des zones humides d’altitude à un horizon 2050 font peser une menace sur la survie des jeunes. Afin de préserver les chances d’adaptation de l’espèce, l’enjeu est avant tout la conservation de son habitat, c’est-à-dire les mares peu profondes et parfois temporaires, à basse altitude mais aussi maintenant à haute altitude.

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